Mardi 12 juillet 2022 : une date qui restera à jamais dans l’histoire du Bassin, et pas seulement.
Cet après-midi là, je partais à bord de mon petit voilier « On My Way » pour 3 jours de prises de vues de paysages figuratifs sur le Bassin. Je quitte le port de la Teste à 17h00, ma première destination étant la Conche du Mimbeau au Cap Ferret. Dès mon arrivée au ponton, mon regard est attiré par une fumée qui semble provenir d’un incendie, mais à ce moment là, je pense à un feu de bâtiment, soit dans le centre ville de la Teste, soit dans la zone industrielle. Je ne suis pas plus inquiet que ça.
Je charge le bateau, démarre le moteur et me dirige lentement vers la sortie du port, tout en jetant un oeil régulièrement à cette fumée qui semble prendre de plus en plus d’importance dans le ciel.
Ne constatant aucune amélioration, bien au contraire, je jette un oeil sur l’application de Sud Ouest sur mon portable et le verdict tombe : incendie dans la forêt de la Teste !
Jusque là, rien de très étonnant. Cela fait des semaines que nous sommes en pleine canicule, il n’a pas plus une goûte depuis des mois, et on devait bien s’attendre à des départs de feu. Je me dis que les pompiers vont maitriser ça rapidement. Nous ne sommes pas dans le var, ici nous n’avons jamais eu d’incendies catastrophiques.
Au fur et à mesure de ma progression, je vois bien que la situation prend très rapidement de l’ampleur. Clairement, les pompiers ne parviennent pas à stopper la progression des flammes dans cette forêt primaire exceptionnelle. Les informations mises à jour en temps réel par Sud Ouest commencent à faire froid dans le dos. Les hectares partis en fumée se comptent désormais de manière exponentielle.
Après une heure trente de navigation, j’arrive dans la Conche du Mimbeau.
Je jette l’ancre, je sors mes jumelles, mon fuji XT2 avec mon zoom le plus puissant, un 150-400 équivalent à un 600mm, et je me met à observer et photographier, impuissant, cette vision apocalyptique.
Le soleil est en train de se coucher et procure une touche esthétique limite gênante au spectacle des canadairs évoluant dans cette fumée dense autour de la grande et majestueuse Dune du Pilat.
La nuit tombe, le feu ne sera pas maîtrisé ce soir, attisé par un vent d’Est très puissant qui emporte l’odeur du bois brûlé sur la Pointe du Cap Ferret.
Mercredi 13 juillet. Au petit matin, je ne peux que constater avec effroi que l’incendie s’est propagé. De l’endroit où je me trouve, je devine plusieurs foyers répartis dans la forêt tout le long de la Dune. Les médias confirment l’ampleur du désastre et l’impuissance des pompiers, totalement débordés malgré une mobilisation sans précédent.
Je décide de partir à l’Ile aux Oiseaux, plus précisément aux Cabanes Tchanquées, pour ma deuxième nuit. Je ne pourrais pas faire de photos ici, la fumée est trop présente. De toutes façons, la stupeur a remplacé l’inspiration.
Sur l’ile, la fumée paraît plus lointaine. Mais comme le feu s’est propagé aux portes de Cazaux, vu depuis les Cabanes Tchanquées, on a l’impression que c’est Arcachon qui est en feu !
Les quelques plaisanciers présents, assistent à ce spectacle tragique.
Malgré tout, je m’attelle à réussir une photographie du levé de la Lune rouge derrière la Cabane Tchanquée 51. Je sais qu’elle va bientôt être démolie et je tiens absolument à réaliser une dernière photo originale.
Le peu d’inspiration qu’il me reste est gâchée par une bande d’abrutis, venus à 8 bateaux pour faire la fête. Alcool, musique à neuneu à fond, cris et vociférations, ils sont une trentaine à pourrir la soirée à tous ceux qui, comme moi, sont venus pour profiter d’un moment paisible et magique sur un site exceptionnel. Vers 23h00, un plaisancier excédé va à leur rencontre et leur demande de baisser leur musique. Il se fera insulter et passer à tabac jusqu’à ce que je réussisse à éblouir ce groupe de dégénérés avec un projecteur ultra puissant que j’ai à bord. Je suis à 50 m, mais la puissance de cette lampe est telle qu’ils se retrouvent désorientés et cela permet à ce pauvre monsieur de se faufiler jusqu’à son bateau. Plus tard dans la nuit, à 2h00 du matin, le chef de la bande décide de le retrouver « pour le finir ». Je ne parviendrai pas à joindre les secours. La Brigade Nautique de la gendarmerie est injoignable. Rien n’est prévu pour ce genre de situation. Finalement, les abrutis abandonnent leur projet d’expédition punitive.
A 6 h00 du matin, la marée est suffisamment remontée pour pouvoir quitter les lieux. Je décide de mettre un terme à cette escapade et de rentrer au port. Je n’ai plus la tête à faire des photos, à cause des incendies bien sûr, mais aussi à cause de ce à quoi j’ai assisté cette nuit. En 22 ans de navigation sur le Bassin, j’en ai passé des nuits à bord, et jamais je n’avais été témoin d’une telle incivilité et d’une telle violence.
Le feu a continué à dévorer la forêt pendant plus de deux semaines, obligeant les autorités locales à évacuer plusieurs villes et quartiers, y compris le Pyla. Au total, ce sont près de 20 000 personnes qui ont dû quitter leurs maisons et parfois leurs animaux de compagnie pour trouver refuge chez des amis, de la famille, ou en centre de secours. Heureusement, une mobilisation exceptionnelle des bénévoles a permis de réconforter ceux qui étaient les plus touchés par cette catastrophe.
Le bilan est catastrophique. Si heureusement il n’y a pas eu de victimes chez les humains, il y en a eu dans la faune sauvage. La forêt a été presque entièrement dévastée. C’est une perte inouïe pour la biodiversité. Une grande cicatrice pour la population locale qui était tant attachée à sa forêt.
Quelques maisons et un restaurant ont été détruits, mais aussi les cinq campings au bord de la Dune du Pilat.
Il y a forcément des leçons à tirer de cet évènement. Des décisions à prendre pour pouvoir intervenir plus rapidement et plus efficacement au moindre départ de feu. Des moyens à mettre en oeuvre, des zones sensibles à protéger dans des périodes critiques, et éviter par dessus tout d’urbaniser à proximité de la forêt.
Car des canicules, il y en aura d’autres. Il se peut même que l’été caniculaire devienne la règle. A nous de nous adapter maintenant.
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